12/10/2014

Interview de Andreas Weinand


Andreas Weinand
Colossal Youth

Interview à l'occasion de son exposition Colossal Youth au Temple du Goût dans le cadre de la 18ème QPN "Devenir".
Interview réalisée par Paul Demare
Traduction : Patricia Guerin

On a le sentiment avec Colossal Youth d’être face à un genre de photos de famille. Quels rapports entreteniez-vous avec les jeunes que vous photographiiez ? Dans quelles circonstances sont nées ces images ?

C’est formidable que mes images vous évoquent des portraits de famille. Je suis rentré dans ce groupe comme un étranger et suis petit à petit devenu familier avec ceux que je photographiais. Ca m’a émotionnellement ramené à des sensations que j’éprouvais étant adolescent.
Je réfléchissais au thème de la jeunesse depuis 1986 et autour de l’âge de 30 ans, alors que je travaillais sur mon examen terminal à l’école Folkwang, j’ai eu la chance d’entendre parler d’une fête qui était censée durer trois jours. Lorsque je suis arrivé sur place, j’ai tout de suite su que j’avais trouvé les gens que je cherchais. C’était à la fin de l’été 1988.

Les images datent de la fin des années 1980, début des années 1990, quelles étaient vos influences photographiques à l’époque ? Aviez-vous des modèles en tête (photographiques, cinématographiques…) pour aborder votre sujet ?

Les livres de Larry Clark, Tulsa et Teenage Lust, m’ont beaucoup inspiré. En les regardant au début des années 80, j’ai immédiatement réalisé que j’avais manqué de photographier quand j’étais jeune et que je ne savais pas quoi faire dans la vie. Des scènes vues et des sensations ressenties lors de toutes ces fêtes auxquelles j’avais participé avec des amis et camarades de classe lors de nos années étudiantes…
J’étais étudiant lorsque j’ai eu l’occasion d’apprendre et de développer mes compétences photographiques. Lorsque j’ai commencé à étudier la photo à l’école Folkwang à l’automne 1980, je ne savais pas grand-chose de l’histoire de la photographie. Bien que j’avais toujours inconsciemment eu le rêve de devenir photographe, je voulais apprendre la peinture. Je considérais que la photographie était trop facile. Je pensais que les gens et les scènes étaient déjà là et qu’il me suffisait de les photographier. Je ne voyais pas la difficulté de l’exercice. C’est une conférence donnée par Garry Winogrand à notre université à l’automne 1982 qui m’a ouvert les yeux sur ce que signifiait vraiment le fait d’être photographe. Dès le lendemain, j’ai débuté mon projet « Approaching a Neighborhood » (« à la rencontre d’un quartier ») et décidé d’apprendre et d’explorer le monde de la photographie. Etape par étape.
Au départ, j’ai également été inspiré par des photographes tels que Diane Arbus, Robert Frank, Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau, William Klein, Larry Fink, Mary Ellen Mark et par des réalisateurs tels que Federico Fellini, Pier Paolo Pasolini, Luchino Visconti, Ingmar Bergmann, Éric Rohmer, Jean-Luc Godard – Alphaville : Une étrange aventure de Lemmy Caution -, Rainer Werner Fassbinder, Herbert Achternbusch, G.W.Pabst - Westfront 1918 ( 1930 )-, Edgar Reitz - Heimat -, etc. mais aussi des peintres comme Rembrand, George Grosz, Christian Schaad, pour n’en citer que quelques uns. Joseph Beuys et le mouvement Fluxus étaient également actifs à Düsseldorf, où je vivais jusqu’à 1986. Il y a tellement de sources d’inspiration qui se sont immiscées dans ma photographie qu’il m’est impossible de me souvenir de toutes. Au début des années 80, j’allais au cinéma 5 jours par semaine. Ca m’a ouvert l’esprit. Puis au milieu des années 80, j’ai ensuite découvert le travail de Martin Parr, Paul Graham, Joel Sternfeld et Joel Meyerowitz. Ce furent ensuite Nan Goldin et Nobuyoshi Araki au début des années 90.

Quelle distance vous fallait-il pour réussir ce documentaire ? Fallait-il être partie prenante de ces fêtes, un recul était-il nécessaire… ?

En photo, je dois toujours trouver l’équilibre entre la proximité et la distance. Je prenais part à ces fêtes pour pouvoir prendre des photos. Je suivais mon instinct en observant très attentivement tout ce qui s’y passait. Bien que j’y étais admis en tant que photographe, c’était parfois difficile pour moi d’accepter mon propre rôle d’observateur. La situation était source d’un grand conflit intérieur pour moi, pas pour les gens que je photographiais. J’ai été émotionnellement très proche de chacun d’eux et mon travail a ensuite été de transformer ces perceptions en images.

On devine, notamment avec la naissance d’enfants, une évolution dans la vie des jeunes que vous avez photographiés. Saisir le passage à l’âge adulte faisait-il partie de vos intentions au moment de commencer ce travail ? Cela aurait-il un sens pour vous aujourd’hui de prolonger Colossal Youth par d’autres images qui montreraient « ce qu’ils sont devenus » ?

Quand j’ai débuté ce travail, mon but était d’exprimer la force du rejet des conventions de la société bourgeoise. La photographie m’a permis de replonger dans mes propres sentiments d’adolescent et de prolonger cette attitude avec mon expérience d’adulte. Je me suis concentré sur la période allant de l’enfance à l’âge adulte. Cette phase de recherche de qui l’on est vraiment.
La naissance d’un enfant n’était pas prévue. Ça a effectivement transformé la vie de Mélanie. J’avais photographié la vie festive de ce groupe pendant plus de deux ans et cette nouvelle perspective ouvrait mon travail à la dimension des responsabilités de l’âge adulte.
Je suis toujours resté en contact avec Mélanie. On se revoit de temps en temps. J’ai photographié son mariage et ses enfants. Quand je lui ai présenté le livre en 2011, elle m’a appris qu’elle était devenue grand-mère, ce qui signifie que Fee, la jeune enfant que l’on voit sur les photos de famille est maintenant mère elle-même. J’ai bien sûr continué à faire des photos de Mélanie avec ses filles et la jeune famille. Je suis très heureux de rencontrer Fee et sa fille Amélie.

Comment expliquez-vous le succès de Colossal Youth (4e édition du livre en 2014) ? Au-delà de la qualité indéniable de votre travail photographique, comment faut-il comprendre l’intérêt du public (et des éditeurs, des programmateurs, des journalistes…) pour la jeunesse et la marginalité ?

Il est probable que le temps soit venu. Ces images font maintenant partie de l’histoire mais n’en donnent pas l’impression. Ce décalage dans le temps peut aider. J’ai appris la patience, me sens plus détendu et j’ai laissé les images suivre leur chemin. Elles s’adressent aujourd’hui à un public plus large qui a en plus développé un intérêt pour les années 80. A la fois les jeunes et les gens plus âgés peuvent y voir des scènes qui leur paraissent familières. C’est de la photographie brute, directe, vibrante. Un discours personnel qui ne se sert d’aucune convention.
Le fait que Colossal Youth existe sous forme de livre lui assure une présence et une permanence dans le temps qu’on ne peut effacer. C’est comme une exposition itinérante qui parcourrait le monde. Je suis très satisfait du design du livre. Mon éditeur, Hannes Wanderer, a fait un très beau travail. La jeunesse est une période importante dans la vie. Personne n’a envie de se sentir vieux. C’est une source d’inspiration.

Comment situez-vous Colossal Youth dans l’ensemble de votre travail ? Une étape ? Un aboutissement qui vous a permis d’évoluer ? Un succès encombrant ?

C’est un vrai sujet fondamental qui est en résonance avec mes projets antérieurs et postérieurs.

Le Temple du Goût QPN 2014 © QPN / Hervé Marchand